LE FIGARO.fr – 5/7/2019

INTERVIEW- Le premier ministre grec paraît en mauvaise position en vue des élections législatives du 7 juillet, tandis que Nouvelle Démocratie, menée par Kyriakos Mitsotakis, fait la course en tête des sondages. En cause, notamment, quatre années difficiles au pouvoir et des engagements non-tenus.

Propos recueillis à Athènes,Georges Pagoulatos est professeur de politique européenne et d’économie à l’Université d’Athènes.

La défaite d’Alexis Tsipras semble inévitable. À quel moment et pour quelles raisons le vent a-t-il tourné dans l’opinion grecque?

Le changement est apparu clairement avec les résultats très décevants pour Syriza (23,8%) aux élections européennes (et à l’issue desquelles le premier ministre Alexis Tsipras a convoqué des élections anticipées pour le 7 juillet, NDLR). On s’attendait à ce que Nouvelle Démocratie (opposition conservatrice) gagne, mais pas avec une marge aussi importante (33,1% des voix). Il est alors devenu évident que Tsipras et Syriza avaient perdu de leur attrait électoral, ce qui est dû à plusieurs facteurs: d’abord, le gouvernement a passé quatre ans au pouvoir, il y a donc une perte logique de fascination. Tsipras a aussi fait des promesses très extravagantes, impossibles à mettre en œuvre. Ensuite, il y a eu les négociations erratiques du premier semestre de 2015 qui ont mené au référendum de juillet, à des coûts économiques et financiers énormes résultant du contrôle des capitaux et de la fermeture des banques, et la perte de 25 milliards de valeurs pour l’État actionnaire dans les banques.

À cette période, les promesses n’étaient pas réalisables et le coût des négociations a été lourd. Mais Syriza a été réélu en septembre après avoir opéré une volte-face et signé un troisième programme de relance. Une part significative de l’électorat de janvier 2015 s’est sentie perdue, trahie, découragée et l’autre a commencé à comprendre qu’ils ne voulaient pas de ce genre de politique.

Ensuite de 2015-2016, il y a eu la récession, de 2017 à 2018, la reprise, atténuée par la très longue récession juste avant et les ajustements pris par le gouvernement, comme les impôts très lourds sur les hauts revenus et la classe moyenne, qui ont accru le sentiment de récession prolongée. La combinaison de tout cela a provoqué un affaiblissement du soutien à Tsipras et à Syriza.

L’accord de Prespa sur la Macédoine a aussi provoqué des pertes significatives pour la coalition gouvernementale, en particulier au nord de la Grèce, mais pas seulement. Et Tsipras avait déjà déçu ses électeurs en faisant une alliance avec les souverainistes d’Anel (qui a pris fin il y a quelques mois).

Enfin, les incendies de l’été dernier à Mati près d’Athènes et la perte d’une centaine de vies ont sévèrement terni l’image du gouvernement Syriza, pas seulement pas ce que cela aurait pu être évité, mais aussi parce que le gouvernement a essayé d’en tirer profit sur le plan politique.

Comment le parti de droite Nouvelle Démocratie (ND) de Kyriakos Mitsotakis s’est-il peu à peu imposé comme recours?

Juste après les élections, Nouvelle Démocratie et Mitsotakis ont pris la tête dans les sondages et cela n’a pas changé depuis. ND a profité d’un électorat très déçu par Syriza à cause de l’inadéquation entre ses promesses et les résultats.

Ensuite, ND a élu un leader, Kyriakos Mitsotakis, qui a toujours cherché à s’identifier comme un réformateur (il a été ministre de l’administration publique de 2013 à 2015 sous Antonis Samaras, NDLR). Il vient de l’aile centriste libérale de Nouvelle démocratie qui est un parti de droite populaire.

Il s’est appliqué à montrer qu’il était prêt à gouverner et à se retrousser les manches. Il a mené une opposition modérée, sauf sur l’accord de Prespa parce que ses électeurs y étaient opposés, et a évité de multiplier les promesses impossibles à tenir.

Il a réussi à inspirer de la confiance dans sa campagne et à se faire mieux connaître, notamment en ce qui concerne sa famille et sa vie privée pour se rapprocher davantage des Grecs.

Au niveau politique, il a réussi à convaincre les électeurs grecs qu’il était digne de confiance (Cf. enquêtes d’opinion) pour les marchés, capable d’attirer les investissements et de baisser les impôts dans toutes les catégories sociales, grâce à des réformes.

En quoi le fait que Kiriakos Mitsotakis devienne premier ministre peut-il changer la relation entre la Grèce et le reste de l’Union européenne?

Nouvelle démocratie appartient au Parti populaire européen (PPE), qui a remporté les européennes, et a contribué avec un bon nombre d’eurodéputés (huit) au groupe à Strasbourg. C’est un allié politique d’Angela Merkel. Il est plus proche d’Emmanuel Macron qu’Alexis Tsipras le serait dans la mesure où c’est un centriste libéral.

Et ces liens, tissés avant les européennes, se sont renforcés depuis. Maintenant que la page de l’austérité est tournée, il sera un partenaire naturel pour les leaders européens. Il n’a pas appelé à la fin de l’austérité et essayera de baisser les déficits par les réformes.

À la question «fera-t-il partie des big guys?», je dirais qu’il sera le premier ministre d’un pays européen de taille moyenne mais qui est le dixième membre de l’UE.

Quel opposant sera Alexis Tsipras, après avoir passé quatre ans à la tête du pays?

Tsipras est très jeune et il est capable d’avoir un long futur en politique. Il va garder le contrôle de son parti parce qu’il n’a pas de challenger disposé ou capable de lui succéder, contrairement à tous les premiers ministres défaits par le passé. Il essayera de refaire gagner Syrisa. Mais le vrai test sera de savoir quelle opposition il va exercer.

Je m’attends à ce qu’il soit plus proche de la social-démocratie. Il a d’ailleurs donné son pouvoir au président du gouvernement socialiste Pedro Sanchez cette semaine à Bruxelles lors du Conseil européen. Il se repositionne comme social-démocrate et n’a plus rien en commun avec la gauche radicale dont il vient.

Tsipras a bougé par nécessité et par choix. Il pourrait certainement devenir plus radical dans l’opposition, mais je pense que vu ses quatre années passées au gouvernement, il ne peut pas revenir à une opposition aussi extravagante qu’en 2015. Il veut être la principale force de centre-gauche. Quant à Syriza, qui a beaucoup évolué avec lui, il faudra qu’il se redéfinisse d’un point de vue idéologique et trouver sa place au sein des partis de la gauche européenne.

http://www.lefigaro.fr/international/grece-tsipras-a-fait-des-promesses-extravagantes-impossibles-a-mettre-en-oeuvre-20190705

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